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Autoportrait

Autoportrait

Date de création : Fin du XVIIIe siècle

H. : 65 cm

L. : 62 cm

Huile sur toile

© GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Gérard Blot

Lien vers l'image

MV 6269 - 10-549220

Autoportrait de Marie-Adélaïde Durieux

Date de publication : Octobre 2015

Auteur : Jean HUBAC

Un autoportrait parmi d’autres

On sait peu de chose de Marie-Adelaïde Durieux, sinon qu’elle a exposé aux Salons de 1793 à 1798 et qu’elle est une portraitiste parmi d’autres, comme le rappelle le témoignage de Henri Meister dans ses Souvenirs de mon dernier voyage à Paris (1795) : « Parmi les tableaux de la dernière exposition, c’est une chose remarquable que le grand nombre d’ouvrages de femmes ; vous y verrez les noms nouveaux des citoyennes Auzou, Blondin, Bouliar, Capet, Doucet, La Borey, Durieux, Laville, Mirys, Romany, Thornezi, etc. Toutes ne sont pas ou des Guiard, ou des Le Brun ; mais plusieurs du moins se distinguent par des compositions pleines de grâce, par des portraits d’une touche piquante et légère, un dessin facile et pur, une étude soignée des belles formes, un choix d’ajustements simple et de bon goût. »

Le Salon se tient régulièrement au Louvre et permet à tous les artistes d’exposer depuis le décret du 21 août 1791. La présence d’artistes féminines y croît, mais reste très minoritaire par rapport aux peintres masculins (Marie-Josèphe Bonnet a compté quatre-vingt-quatre femmes exposant dans les Salons de 1789 à 1799, contre quatre cent cinquante-neuf hommes). L’exposition donne une visibilité à l’artiste, à défaut d’une vraie notoriété, dont on ne garde nulle trace dans le cas de Marie-Adélaïde Durieux.

Un autoportrait sans concession

L’artiste apparaît assise, à mi-corps, fixant du regard le spectateur sans réellement le faire participer à son intimité en raison d’une certaine raideur. Les cheveux au naturel, simplement retenus par une charlotte blanche, tombent en boucle sur une robe sans apprêt dont quelques détails renvoient à la condition bourgeoise de sa propriétaire (dentelle, liseré brodé). Le ruban bleu ceint autour du poignet indique une coquetterie discrète. Le visage, peint sans embellissement, marque l’attachement de Marie-Adelaïde Durieux à une peinture fidèle à la réalité.

La qualité professionnelle du modèle est identifiable au carton à dessin tenu sous le bras qui occupe une large partie du plan inférieur, et au porte-crayon dont l’extrémité est au centre de la composition. L’espace pictural de forme ovale est pleinement occupé par l’artiste et ses attributs, tandis que se projette sur le fond sombre une lumière irradiée du visage et des vêtements.

Un manifeste professionnel et personnel

Le tableau de Marie-Adelaïde Durieux s’inscrit incontestablement dans le contexte révolutionnaire. Il en porte les traits vestimentaires distinctifs, et il témoigne surtout du « véritable fait de société » (M.-J. Bonnet) qu’est l’autoportrait des femmes peintres à la fin du XVIIIe siècle en France. La toile rend ainsi compte de la volonté portée par la peintre de se représenter en même temps comme une femme et comme une artiste à l’identité sociale reconnue.

Pourtant, la Révolution n’est pas favorable à l’émancipation des femmes par la peinture. Au contraire, elle représente une régression par rapport aux dernières années de l’Ancien Régime, au cours desquelles l’autoportrait féminin avait procuré à ses auteures un statut social, comme en témoigne le parcours d’Adélaïde Labille-Guiard ou surtout celui d’Élisabeth Vigée Le Brun. M.-J. Bonnet n’hésite pas à écrire que « cet élan émancipateur va se briser contre la misogynie de la Révolution française ». C’est ainsi que l’exclusion politique des femmes se double de leur exclusion du monde officiel de l’art (les Salons mis à part, les femmes sont exclues de l’Institut de France, de l’École nationale des beaux-arts, de l’École des chartes…), ce qui n’empêche pas les femmes d’être de plus en plus nombreuses à s’affirmer comme artistes peintres. Marie-Adelaïde Durieux fait partie de ces femmes-là, qui ont cherché dans l’art une forme d’accomplissement personnel et de reconnaissance sociale que leur refusait le législateur.

BARTOLENA Simona, Femmes artistes : de la Renaissance au XXIe siècle, Paris, Gallimard, 2003.

BONNET Marie-Josèphe, « Femmes peintres à leur travail : de l’autoportrait comme manifeste politique (XVIIIe-XIXe siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 49-3, 2002, p. 140-167.

BONNET Marie-Josèphe, Liberté, Égalité, Exclusion : femmes peintres en révolution (1770-1804), Paris, Vendémiaire, coll. « Révolutions », 2012.

LACAS Martine, Des femmes peintres : du XVe à l’aube du XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 2015.

Jean HUBAC, « Autoportrait de Marie-Adélaïde Durieux », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 20/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/autoportrait-marie-adelaide-durieux

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